Par Christophe Mouchel
Rubrique : Analyses
Date : 08 mars 2007
Qui, à la lecture de certains JdR, une fois le livre refermé ne s'est jamais demandé : "C'est génial, mais je ne vois pas ce que je peux en faire en pratique." ? La raison fondamentale pour laquelle certains jeux suscitent cette remarque et pas d'autres a été découverte depuis longtemps par certains concepteurs de JdR ou intuitivement par certains MJ. L'étude de ce facteur permet de mieux comprendre le fonctionnement général de la pratique du JdR. Cette raison, c'est l'existence ou non, d'un scénario-type clairement identifiable dès la lecture.
Le scénario-type (ST) est la trame narrative fondamentale induite par un JdR, dans ses règles et/ou son univers, le plus souvent dès son livre de base. Pour D&D, le scénario-type est : un groupe d'aventuriers se forme en quête de gloire et de fortune ; ils quittent la civilisation pour un lieu très dangereux ; ils combattent des monstres et triomphent des obstacles pour acquérir de nouveaux pouvoirs et des objets puissants ; ensuite, ils regagnent la civilisation pour revendre leur butin ; la séance d'après, ils recommencent. Mais attention, le scénario-type n'est pas l'accroche d'une campagne (de genre : "Vous êtes des agents de telle faction."), c'est un script complet avec un début, un milieu et une fin, ainsi qu'une description de ce que font typiquement les joueurs, de quelle manière et avec quelle récompense. Il doit être suffisamment générique pour pouvoir être décliné en une infinité de scénarios sans tomber dans la simplification. Surtout, il doit être évident dès la lecture. Le scénario-type n'est pas non plus la méta-intrigue, qui justifie chaque instance du scénario-type.
Le scénario-type de D&D est très simple et a pourtant donné naissance au jeu le plus populaire, car il est très évocateur puisqu'il a une structure cousine de celle du Voyage du Héros. Il est tellement imprégné dans la culture ludique qu'un jeu n'ayant pas de scénario-type fort et évident sera le plus souvent joué avec le scénario-type de D&D. Il est devenu le scénario-type par défaut du JdR
Pour les joueurs, le scénario-type est un élément reconnaissable et familier. Pour un joueur, jouer à un jeu dont le scénario-type est marqué, connu, et apprécié, sera une expérience plaisante puisqu'il sait à quoi s'attendre sauf si le MJ s'en écarte sciemment, à ses risques et périls.
Pour le MJ, le scénario-type est un gabarit confortable sur lequel il peut se reposer pour produire sans difficultés des aventures. Même s'il s'en écarte, il pourrait toujours l'utiliser comme solution de replis puisqu'il est intégré au jeu lui-même. Un jeu dont le scénario-type n'est pas évident pourra se voir apposer le scénario-type d'un autre jeu. Dans sa V1, Shadowrun n'avait pas de scénario-type évident, les scénarios officiels ont emprunté celui de D&D pour les adapter et doter le jeu d'un scénario-type propre pour sa seconde édition. De même, utiliser le scénario-type de Nephilim pour Mage the Awakening donne immédiatement à ce dernier une grille de lecture efficace, alors que Mage n'a pas de scénario-type propre.
Pour les auteurs, avoir un scénario-type induit la connaissance du déroulement d'une session et leur permet de savoir quels points de règles peuvent être améliorés ou simplifiés et d'adapter le background pour que le scénario-type soit en cohérence. Les Royaumes Oubliés jouent à fond cette carte puisqu'ils intègrent à l'univers les éléments du scénario-type de D&D : ils justifient socialement les groupes d'aventuriers professionnels (compagnies d'aventuriers) et multiplient les lieux dangereux (Montprofond, Myth Drannor). A l'opposé, certains jeux au scénario-type initial très marqué (Nephilim, Exalted) se dispersent au fil des éditions et de l'évolution de la gamme, ce qui les rend moins accessibles. Enfin, les éléments du scénario-type ne doivent pas être résolus par la meta-intrigue au risque de détruire le scénario-type et de brouiller la lisibilité du jeu. Ainsi, si le scénario-type implique que les PJ combattent une certaine faction, il ne faut pas que la meta-intrigue la fasse disparaitre, sauf à vider le jeu de sa substance.
Non, pas forcement. Par exemple, les jeux multi-genre n'ont pas de scénario-type, mais tous les succès durables ont trouvé d'entrée ou adopté rapidement un scénario-type auquel leurs fans adhéraient car le scénario-type façonne la manière de jouer. Il est frappant de remarquer que beaucoup de scénario-type, s'ils ne sont pas identiques, se ressemblent, et imitent le scénario-type de D&D. Seul le scénario-type de Vampire la Mascarade se démarque clairement, ce qui explique peut-être l'ampleur de son succès. L'intérêt récent pour les jeux "indies", au scénario-type très marqué et novateur, tient peut-être au souhait des joueurs de raconter de nouvelles histoires qui ne seraient pas de simples variations de celles de D&D.